

A SLOW FASHION REVOLUTION
"Faire renaître notre attachement émotionnel au vêtement"
Linda MAI PHUNG
Styliste de mode éco-responsable
Paris - France x Saïgon - Vietnam
indie song : CHO KHÔNG de SUBOI - Rap (Vietnam)
Publié le 1 Mai 2023
Auteur : Thomas Verjus
Traduction anglais : Gilda Teissier
De Paris à Saïgon, Linda imagine des vêtements respectueux de la planète et des personnes depuis 2010. Pionnière de la mode éthique, ses créations nous rappellent que la mode est un art qui rime avec éco-responsabilité. Face à une (ultra) fast fashion sans âme et destructrice, comment la mode éco-responsable émerge enfin ? Quels leviers pour la rendre désirable ? Comment accélérer ce changement dans notre imaginaire collectif ? Linda nous convie à cette révolution de la mode avec cette belle promesse pour s’habiller, celle de faire renaître notre attachement émotionnel à nos vêtements.
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"Les nouvelles générations de designers sont aujourd’hui beaucoup plus préoccupées par la mode éthique" constate Linda. Depuis l’est parisien où elle s’est installée en rentrant de Saïgon, elle observe ce changement à travers ses activités de conseils RSE auprès de marques de mode et ses cours d'éco-conception de mode enseignés aux futurs designers. Vingt ans plus tôt, Linda entame ses études de stylisme à Duperré Paris. Avant-gardiste, elle prend alors déjà conscience des impacts environnementaux et sociétaux de la mode. Plus jeune, Linda se souvient encore de ce documentaire où des enfants confectionnent des ballons Nike dans des sweatshops en Inde, un vrai choc qui fait office de déclic pour son engagement pour une mode durable et un monde meilleur.
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Depuis, les scandales se sont enchaînés, des podiums du luxe aux grandes marques de fast fashion (H&M, Zara ,Uniqlo…) dont l’incident mortel du Rana Plaza au Bangladesh en 2013 en est le triste symbole. "La mode passe" certes mais ne brille pas par son impact sociétal et environnemental. Si ces évènements ont participé à une meilleure prise de conscience des consommateurs, les chiffres restent effarants, un vrai effet "Don’t Look Up". De quoi tous rougir devant notre dressing.
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Notre addiction à l’(ultra) fast fashion abîme la planète et les personnes
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En 20 ans, la production mondiale de vêtements a doublé, nous informe l’ADEME. S’habiller est un besoin vital mais nous surconsommons. Cette frénésie entraîne une surproduction de vêtements, trop énergivore, qui plus est au fossile. Avec 2 à 4% des émissions de gaz à effet de serre, la mode contribue autant que le transport aérien au réchauffement climatique. L’impact sur la biodiversité est encore plus conséquent, car le textile est gourmand en eau en ayant recours à des matériaux majoritairement polluants : synthétique, coton sous pesticides et surtout déchets. Au rythme de saisons démodées, la promesse d’un recyclage, en bonne conscience mais au service du greenwashing des grandes marques, enverra par charité nos vêtements indésirables tout droit dans l’océan sur une plage du Ghana, ou dans une décharge à ciel ouvert dans le désert d’Atacama au Chili. Enfin, l’impact sociétal reste indécent : des productions à bas coûts dans des pays où les droits des travailleurs sont bafoués comme en témoigne la question des Ouïghours en Chine ; sans oublier la problématique de l’appropriation culturelle pour alimenter les collections occidentales.
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Ce phénomène, perfusé aux bas prix, et à la qualité médiocre, s’accélère avec le marketing agressif de l’ultra-fast fashion à l’instar de la marque chinoise Shein. "La fast fashion est addictive, particulièrement pour les plus jeunes, comme pour du Coca ou des cigarettes" explique Linda. Tout un paradoxe pour les jeunes générations, plus mobilisées sur la question climatique que leurs aînés. Face à cette concurrence déloyale qui tue qualité et créativité, la slow fashion résiste en proposant un modèle plus vertueux et plus sobre, mais aussi plus désirable pour notre société.
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Imaginer une mode éco-responsable, hommage aux groupes ethniques vietnamiens
"Il ne s'agit pas seulement de concevoir des produits respectueux de l'environnement, mais de changer l'ensemble du système de la mode" insiste Linda qui contribue depuis 15 ans à faire bouger les lignes. Née en 1984 à Paris de parents vietnamiens exilés à la fin de la guerre du Vietnam, Linda revendique cette double culture. Depuis 1992, ses voyages enfant au Vietnam avec ses parents la reconnecte à sa culture. Linda est fascinée par le savoir-faire textile local et plus particulièrement par les créations des 54 groupes ethniques du pays.
Ayant grandi en banlieue parisienne, la guerre du Vietnam n’est pas vraiment enseignée à l’école et étant la seule famille asiatique de sa petite ville, elle se sent aussi stigmatisée pour être "l’enfant de Bruce Lee". "Je voulais réellement combattre ces clichés et le racisme en mettant en avant ce qu'il y a de meilleur dans le pays de mes parents, bien plus que la guerre ou les soupes de nouilles pho". Pendant cette période, Linda voit aussi naître sa passion et son talent pour le dessin. "C’était pour moi le seul moyen de m'exprimer et j'ai pris conscience très jeune de l'injustice sociale. J'ai donc voulu combiner les deux mondes en essayant de favoriser le changement avec ma créativité" confie Linda. Créativité, hommage à la culture vietnamienne et volonté d’impacter positivement le monde, l’identité de la future marque de mode éco-responsable Linda Mai Phung est déjà née.
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Une collection originale, à impact positif pour la planète et les personnes
En 2007, à la fin de ses études, les pionniers de la mode durable se comptent alors sur les doigts de la main. Linda réalise qu’elle doit "créer sa propre marque de mode durable pour être alignée sur ses valeurs" tout en rêvant de s’installer au Vietnam pour reconnecter avec son histoire. La chance lui sourit avec l’opportunité d’opérer pour une société française depuis un atelier de tailleuses basé à Saïgon aka Ho Chi Minh ville, le poumon économique du pays. Cette expérience lui permet de travailler au plus près des ateliers sur place et de tisser des relations uniques avec les artisans vietnamiens, du sourcing à la confection. En 2010, elle se lance alors dans l’aventure entrepreneuriale en créant sa marque de prêt-à-porter féminin Linda Mai Phung, rejointe rapidement par son associée Florence Bacin.
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1/ Linda Mai Phung collections (2010-2016)
2/ New Territories, FW14-15 - Aym Perfecto Shantung of silk & details of traditional embroidery of the Hmong Flowers ethnic groups (bestseller of the collection)
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Durant six années, les deux passionnées développent une marque originale qui marie, avec éthique, authenticité et élégance, style moderne occidental et patrimoine culturel du textile vietnamien. Une réalisation totale de 15 collections comprenant 30 modèles en moyenne, des pièces originales fabriquées avec des soies issues de coopératives locales, du coton biologique, des lins et des textiles d'exceptions asiatiques ainsi que des stocks dormants d'usines textiles locales.
La démarche éco-responsable et le succès créatif de la marque Linda Mai Phung seront récompensés par plusieurs prix (par exemple : Ethical Fashion Show Paris, Prix de la créativité en 2011) et feront l’objet de relais média prestigieux (The New York Times, Vogue, ELLE…). Au-delà de cette reconnaissance, c’est la mise en valeur du savoir-faire textile des groupes ethniques vietnamiens qui rend fière Linda et surtout son impact.
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A partir de 2017, pendant le développement de la marque de mode pour cycliste urbain Super Vision, avec le fondateur de l’usine de confection Evolution3 (Marian Von Rappard) au Vietnam, elle participe à un projet pour définir le salaire vital des ouvrièr.es., contre–proposition au salaire minimum promulgué par les gouvernements qui n'est souvent pas suffisant pour subvenir à tous les besoins vitaux d'une ouvrière du textile. "Un recalcul coopératif pour revaloriser les salaires : un salaire juste et équitable pour contribuer à la mise en place d’un système plus vertueux et durable" explique Linda.
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« Notre meilleur vêtement est déjà dans notre armoire »
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De retour à Paris, Linda accompagne aujourd’hui de nouvelles marques éco-responsables qui souhaitent se lancer et contribuer à cette révolution. "J'ai l'impression que le public est prêt, plus conscient de la raison pour laquelle la mode durable devrait être la norme" constate Linda. Malgré cette tendance, la mode éthique peut paraître réservée à un certain public pour des questions de prix. "Je ne pense pas que ce soit cher si vous choisissez les bons vêtements que vous pouvez garder pour toujours" rétorque Linda.
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Quels sont les leviers de changement pour la mode ? Linda nous rappelle des pistes pour se mettre en action pas à pas, se déconstruire à son rythme, passer le message et pouvoir ainsi se sevrer de la fast fashion.
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Privilégier la sobriété en questionnant ses impulsions d’achat et lutter contre l’obsolescence émotionnelle de notre dressing avec la méthode BISOU inventée par Marie Duboin Lefèvre et Herveline Verdeken – B comme besoin, ai-je besoin de ce vêtement ? I comme immédiat, tout de suite ? – S comme semblable, ai-je déjà ce vêtement ? – O comme origine, où a-t-il été produit ? et U comme utile, indispensable ? Linda aime citer que "le vêtement le plus éco-responsable est déjà dans notre armoire" (Orsola de Castro, co-fondatrice de Fashion Revolution). Il suffit parfois d’y ajouter une petite fantaisie pour le voir différemment et retrouver ce sentiment de joie.
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S’informer pour acheter éthique si on peut ou de seconde main, en privilégiant des matières non synthétiques comme le coton bio, le lin, la laine ; du “Made in France” ou Europe idéalement ; via des plateformes comme WeDressFair, des marques comme l’emblématique Patagonia ou Hopaal par exemple. Des certifications (Oeko-Tex, GOTs…) existent aussi pour mieux choisir et éviter le piège du greenwashing tendu par les marques peu scrupuleuses. Plus récemment, des entreprises comme FairlyMade et Clear Fashion souhaitent apporter plus de transparence sur l’impact de nos vêtements.
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Penser aux alternatives à travers une économie du textile plus circulaire : la réparation/la retouche ; l’upcycling (revalorisation du textile) ; acheter du seconde main (les plateformes comme Label Emmaüs en France) ; le troc ; la location de vêtement ou encore l’emprunt à un proche. « Acheter moins, mais mieux » comme le résume la philosophie de la marque éco-responsable Loom.
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S’engager pour éduquer, sensibiliser et influencer citoyens et proches sur le changement pour une mode plus durable. Linda a fait ce choix en rejoignant l’association Fashion Revolution dont la mission est d’interpeller l'industrie et décideurs politiques à travers le monde via la mobilisation citoyenne. Influenceurs et réseaux sociaux pouvant jouer un rôle clé. Linda fait aussi partie du mouvement En Mode Climat, un collectif français de plus de 600 structures du textile présidé par Julia Faure, co-fondatrice de Loom, qui se mobilise contre la fast fashion et encourage la relocalisation de l'industrie textile en France.
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"Le changement viendra aussi des gouvernements" reconnaît Linda en l’illustrant avec la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire), entrée en vigueur en janvier 2022 et interdisant la destruction des stocks d’invendus. Tout l’enjeu repose sur des règles du jeu qui soient les mêmes pour tous, entre industrie textile traditionnelle et acteurs éthiques, en matière de transparence et d’impact environnemental et sociétal. L’urgence est de supprimer cette "prime au vice" selon l’expression de Julia Faure où l’industrie de l’ancien monde tire profit des pays producteurs moins respectueux de l’environnement et des hommes (ex : Bangladesh, Chine), expliquait la présidente d’En Mode Climat dans une récente interview sur Blast.
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Un monde plus créatif, mieux connecté collectivement
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La mode est aussi politique et témoigne d’une véritable révolution culturelle que nous vivons à travers cette transition écologique et sociale. Entre déni ou éco-anxiété, quel récit collectif pour ce nouveau monde sobre mais désirable ? "Nous vivons dans une société où le bonheur et le succès sont définis par la possession de biens matériels » affirme Linda. Ce mode de vie est synonyme de maladie pour la planète et nous-mêmes. "Se reconnecter aux autres et à la nature, partager et collaborer avec d' autres cultures et enfin renouer avec la créativité" apparaissent comme des remèdes puissants pour Linda afin de mieux "déconstruire ce que nous avons appris et redéfinir ce qui est une société saine pour nous". Linda reste confiante vis-à-vis du changement en notant que "de plus en plus de personnes prennent conscience de la crise climatique". "Les humains ont toujours été résilients. Actuellement, nous vivons une période de crise pour reconstruire quelque chose de nouveau, et nous y arriverons positivement, à condition de faire appel à notre intelligence collective" conclut Linda.
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En 2023, Linda va relancer les best-sellers de sa collection créés il y a dix ans. "Je veux démontrer que la slow fashion est un modèle économique viable sans multiplier les collections". Ses clients lui ont aussi demandé le retour de ses créations, témoignant d’un véritable "attachement émotionnel". Une de ses clientes lui a confié toujours porter un de ses pulls de la première collection, une belle victoire pour Linda qui s’est donné pour mission de créer des vêtements durables et intemporels. Après avoir sondé sa communauté et voyagé dans le Nord du Vietnam, une sélection de 10 pièces sera proposée au rythme d’une pièce par mois, le temps de conter lentement chacune de ces histoires textiles et les désirer avec authenticité. Une vraie slow fashion story, 100% indie.
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CHIFFRES CLÉS
Industrie textile: 2 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (source : ADEME)
150 milliards de vêtements produits en 2020 (Zéro Déchet France)
65% de nos vêtements sont à base de pétrole (source : Fashion - Fake or Not)
Chaque individu ne porte que 30% de ses vêtements (source : Fashion Revolution)
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RÉFÉRENCES
Sites
-Studio Linda Mai Phung - https://www.lindamaiphung.com/
-Super Vision - https://supervisionlab.co/
-Fashion Revolution - https://www.fashionrevolution.org/
-En Mode Climat (FR) - https://www.enmodeclimat.fr/
Podcasts & Interviews
-"Comment s’habiller sans détuire la planète ?" Interview Blast de Julia Faure par Paloma Moritz (FR) - https://www.youtube.com/watch?v=NstTFKrZFMU
-"Why we need a Fashion Revolution?” TEDx de Orsola Castro - https://www.youtube.com/watch?v=geLZiTkFzvo
-Podcast Chaleur Humaine - LeMonde.fr - https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2022/10/04/comment-s-habiller-sans-detruire-le-climat-et-la-biodiversite_6144295_5463015.html (FR)
-"La mode maintient-telle des dynamiques coloniales ?" - Podcast Couture Apparente - https://podcast.ausha.co/couture-apparente/la-mode-maintient-elle-des-dynamiques-coloniales (FR)
-"Qu’est-ce que le greenwashing ?" - Podcast France Inter - Qu'est-ce que le greenwashing ? (radiofrance.fr) (FR)
Documentaires & Livres
-"Fin de la fast fashion, place aux habits durables" - Documentaire ARTE - https://www.youtube.com/watch?v=5wzRAcb5YrU
-"Où finissent nos vêtements ?" - Documentaire FRANCE 5 - Sur le Front with Hugo Clément and Julia Faure - https://www.france.tv/france-5/sur-le-front/2956729-ou-finissent-nos-vetements.html (FR)
-"Fashion – Fake or Not" - Catehrine Dauriac - Livre (FR)
Articles & Autre
-La mode sans dessus-dessous, infographie ADEME: https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf/ (FR)
-The State of Fashion (2022) - https://www.mckinsey.com/~/media/mckinsey/industries/retail/our insights/state of fashion/2022/the-state-of-fashion-2022.pdf
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